Banco Chinchorro (Mer des Caraïbes, Mexique) : patrimoine culturel sous-marin et protection de l’environnement
Par Laura CARRILLO MÁRQUEZ et Loïc MÉNANTEAU
L’Atlas Bleu / Protéger
Atoll, site naturel, épaves de navires, gestion intégrée, Mer des Caraïbes, Mexique.
L’exemple du Banco Chinchorro (Mexique) illustre le problème de la protection et de la gestion des sites maritimes au patrimoine à la fois naturel et culturel. La grande biodiversité de cet atoll a justifié sa protection environnementale, au niveau national et international. Cependant, son patrimoine archéologique sous-marin en a été exclu. Cela pose la question de l’intégration des éléments naturels et culturels dans un même plan de gestion et la déclaration du Banco Chinchorro comme bien mixte par l’UNESCO.
Banco Chinchorro, contexte général
![10047-Chinchorro carte01 Carte de localisation de Banco Chinchorro et réserves de biosphère mexicaines](https://atlas-bleu.cnrs.fr/wp-content/uploads/2023/11/Carte-01-Chinchorro-V4-copie-1024x561.jpg)
Situé à une trentaine de kilomètres au large de la côte sud-est de la péninsule du Yucatán (État de Quintana Roo, Mexique), le Banco Chinchorro fait partie de la seconde barrière corallienne du monde (système récifal méso-américain ; CONAMP, 2018). En raison de son importance géographique et de sa grande biodiversité (INAH, 2012), le gouvernement mexicain le déclare, en 1996, Réserve de la Biosphère (1 443,60 km2 avec sa zone tampon) après sa désignation dans le cadre du Programme sur l’Homme et la biosphère (MAB) de l’UNESCO. En 2003, son site est inscrit sur la liste RAMSAR (ONU) pour la protection des oiseaux migrateurs et des zones humides. Plus tard, par décret du 17-04-2016, la vaste zone marine qui l’entoure (5 754 055,3 ha, soit 57 540,553 km2), le Caribe Mexicano (le Caraïbe mexicain), est déclarée Área Natural Protegida (zone naturelle protégée) sous-marine, également avec désignation comme réserve de la biosphère par l’UNESCO (Carrillo Márquez et Ménanteau, 2012).
Inventaire du patrimoine archéologique et Réserve de biosphère de Banco Chinchorro
Connu jusqu’au XVIIIe siècle sous le nom de Quitasueños (quitte-sommeil), le banc Chinchorro ne faisait pas partie des routes maritimes officielles des navires à voiles et à vapeur de la mer des Caraïbes. Cependant, dès 1638, une route, très importante pour le trafic anglais de palo de tinte (bois de Campêche, Haematoxylum campechianun), la traversait du cap Catoche aux rivières Walix et Hondo (actuel Bélize), avec la Jamaïque comme centre névralgique et de redistribution.
Ce récif de plate-forme (atoll), aux eaux de couleur turquoise, a une topographie irrégulière et est en quasi-totalité sous-marin (99,6 %). Le brusque changement de profondeur qu’il provoque constitue un obstacle sur la route des navires. Son orientation perturbe aussi les courants (côtiers et de marée) et la houle, ce qui accentue sa dangerosité pour la navigation. Le long du récif barrière, des passes permettaient aux navires, en cas de tempête, de chercher refuge dans la lagune récifale, mais une mauvaise manœuvre, une interprétation erronée des cartes marines ou des conditions climatiques adverses pouvaient les faire naufrager.
Il en a résulté de nombreux naufrages de navires sur le pourtour du banc, ce qui fait du Banco Chinchorro un des hauts lieux du patrimoine maritime du Mexique (Carrillo Márquez, 2010 ; Carrillo Márquez et Zuccolotto Villalobos, 2017). Ces biens culturels subaquatiques ont été étudiés et continuent à l’être par la Subdirección de Arqueología Subacuática (SAS) de l’Instituto Nacional de Antropología e Historia (INAH) du gouvernement fédéral mexicain (INAH, 2012, 2015 et 2020) : jusqu’à présent, 70 sites ont été répertoriés dont 42 correspondent à des épaves d’embarcations (Carrillo Márquez et al., 2023). Parmi elles, on compte 29 voiliers, quatre navires à vapeur dont le britannique Mallard, l’Inger Skou, cargo allemand de type Hansa A, de la compagnie d’armement danoise Ove Skou, et le belge SS Glenview, de la compagnie de navigation libérienne Theo Inc. Monrovia, accidentés respectivement les 15-09-1882, 03-06-1952 et 24-01-1964, six navires marchands comme le néerlandais MV Huba et le Tropic Trader, qui l’ont été les 27-04-1960 et 09-03-1968, et le remorqueur Emily Cheramie, échoué le 08-05-1998. À cela s’ajoutent 28 objets isolés considérés comme des éléments d’archéologie navale (ancres, canons, hélices, chaudières…). Pour plusieurs épaves, il a été impossible de corréler les données fournies par les archives sur leurs accidents maritimes avec les restes matériels subaquatiques existants.
Ce patrimoine culturel sous-marin est complémentaire du patrimoine naturel. Le site n’a pas encore été inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO comme bien mixte (naturel et culturel), car on a estimé qu’il devait faire partie d’un espace plus vaste intégrant le Sian Ka’an (Yucatán, Mexique) et les cayes du Belize, mais la déclaration, en 2018, de la zone comme Refugio Pesquero Total Temporal (pour une durée de cinq ans) conduit à un meilleur développement durable, conciliant environnement et activités humaines.
Ile de Cayo Lobos – Vue panoramique prise vers le sud du Cayo Lobos situé au sud-est du Banco Chinchorro. On distingue sur ce caye trois phares successifs, le plus à droite érodé par la mer. D’une superficie de deux hectares, avec des sables dunaires en partie fixés par la végétation, c’est l’un des rares lieux émergés du banc corallien. Photo Jerónimo Avilés Olguín, 21-06-2011. © INAH-SAS
Caldera – À l’extérieur et au nord-nord-ouest du lagon, dans des fonds de moins de 3 m, émerge la machine à vapeur à triple expansion d’un bateau auquel on a donné le nom de Caldera (fin XIXe-début XXe siècle ?). En effet, sa chaudière (caldera), fabriquée en Écosse, est immergée juste à côté. Au loin, on aperçoit le Cayo Norte. Photo Alberto Soto, 26-11-2022. © INAH-SAS
40 Cañones – Au nord-ouest du Banco Chinchorro, plusieurs des 36 canons en fer inventoriés de l’épave du navire 40 Cañones, du XVIIIe siècle, reposent à 6 m de profondeur sur le fond du lagon. Ils sont prisonniers dans la gangue corallienne qui s’est formée à leur surface et contribue à la biodiversité. Photo subaquatique Carlos Castillo, 12-09-2015. © INAH-SAS
Cayo Centro – Vue vers l’ouest de Cayo Centro. On voit la lagune qui occupe le milieu du caye et, à droite, un embarcadère et les installations de la station de la CONANP pour héberger les gardes forestiers et les groupes de chercheurs venus effectuer diverses études dans la réserve. À gauche, vers le sud, se trouvent les palafitos des trois coopératives de pêche qui opèrent dans la zone. Photo aérienne oblique Paris Palacios, 18-09-2014. © INAH-SAS
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