Eutrophisation des eaux côtières dans le golfe de Californie (Mexique) et développement spatial de la crevetticulture : cas du delta du Río Fuerte
Par Loïc MENANTEAU et Diana C. ESCOBEDO URIAS
L’Atlas Bleu / Exploiter
Eutrophisation, crevetticulture, extension spatiale, environnement, delta du Río Fuerte, Mexique
L’article porte sur deux phénomènes majeurs observés sur une large bande côtière du golfe de Californie (Sonora, Sinaloa, Mexique) et notamment dans le delta du Río Fuerte : côté maritime la pollution des eaux liée aux cultures intensives de la plaine côtière ; côté terrestre l’expansion spatiale majeure de la crevetticulture (1990-2008), siège de problèmes sanitaires et biologiques. La résultante étant une forte dégradation des milieux côtiers.
Euthrophisation des eaux côtières dans le golfe de Californie (Mexique)
Floraison de phytoplancton (en teintes vertes) dans le golfe de Californie devant les côtes du Sinaloa et du Sonora.
Reproduction partielle de l’image en vraie couleur acquise par le capteur Terra/MODIS le 26/04/2001. Sources : J. Descloitres, MODIS Rapid Response Team, NASA/GSFC
District d’irrigation 075
Quantités utilisées par année agricole de fertilisants en unités d’azote (N) et phosphore (P) dans le district d’irrigation (Distrito de Riego) 075 Río Fuerte, et indice tropique (TRIX) comme indicateur de la qualité environnementale des systèmes côtiers du nord du Sinaloa (Systèmes lagunaires Topolobampo et Navachiste) durant la période de 1987 et 2007.
Le golfe de Californie, au nord-ouest du Mexique, est soumis à d’importantes pollutions (terrestres et atmosphériques) dues à l’emploi massif d’engrais azotés et d’insecticides pour les cultures irriguées et intensives de la plaine côtière (6 000 km2) des États de Sonora et Sinaloa. La plaine, qui s’allonge entre la Sierra Madre Occidental et la rive orientale du golfe, est l’une des principales zones agricoles du Mexique (un tiers de la production, dont près de 50% est exportée). Conséquences : jusqu’au centre du golfe on observe d’importantes floraisons de phytoplancton (Beman et al., 2005) et sur la côte une eutrophisation des lagunes côtières (voir image satellite et graphique ci-dessus). À ces impacts sur les eaux s’ajoutent ceux provoqués par le développement rapide de la crevetticulture (camaronicultura), semi-intensive et intensive, en bassins. Le rejet de grandes quantités de matière organique (restes d’aliments, excreta, urée comme engrais,…) et de divers antibiotiques provoque une altération des conditions écologiques des écosystèmes côtiers (Escobedo-Urias, 2010).
Production mexicaine annuelle de grosses crevettes (camarones), 1984-2012
Les États de Sinaloa et de Sonora sont les plus importants producteurs de grosses crevettes (camarones) du Mexique (en 2011, 85 % de la production, voir graphique), exportées en bonne partie aux États-Unis. Le Sinaloa comptait, en 2008, 300 fermes marines couvrant 280 km2. L’espèce cultivée, Litopenaeus vannamei, crevette à pattes blanches ou crevette du Pacifique, s’adapte à des taux de salinité de 9 à 55‰. La température de l’eau joue un rôle essentiel : les récoltes ne sont autorisées qu’entre mai-juin et octobre (parfois plus longtemps par dérogation), car le reste de l’année, la température de l’eau, souvent inférieure à 20°, est insuffisante (29° sont nécessaires).
La crevetticulture est exposée à de graves risques biologiques et sanitaires. Les baisses de production observées sont dues à des épizooties causées par différents virus (60%), des bactéries et d’autres agents pathogènes. Ainsi, de 1995 à 1997, les rendements ont été affectés par le syndrome de Taura (TSV). Plus tard, l’État de Sonora (devenu premier producteur en 2009 avec 81 422 t), a perdu plus de 50% de sa production dans les années suivantes (35 305 t en 2012) à cause du virus syndrome des taches blanches (WSSV). En 2013, un autre virus, d’origine asiatique, a fait de nouveau chuter la production en entraînant la perte de 80 % à 100 % des larves de crevettes.
Carte interactive
Évolution de l’emprise spatiale (avec calcul de surfaces) de la crevetticulture dans le delta du Río Fuerte à partir de l’analyse d’une série d’images de satellite (scènes : 034-042 de Landsat 5 TM, 1990 ; 564-298/2 de Spot 3 – Dossier ISIS du CNES n°144). Traitement et réalisation : Loïc Ménanteau et Laurent Pourinet
C’est dans le delta du Río Fuerte, au nord du Sinaloa, qu’a été construite, en 1983-1984, la première ferme crevetticole du Mexique (Ejido las Grullas, par Acuacultores de Sinaloa). Dans le cadre d’un projet de recherche de coopération internationale, nous avons réalisé une étude de l’évolution de la crevetticulture dans le delta. Le traitement et l’analyse d’une séquence d’images de satellite (Landsat et Spot) a permis un suivi précis de son emprise spatiale pendant ses 25 premières années d’existence (1983-2008). Au nord de la Boca las Piedras (voir carte interactive), leur rapide extension a créé une sorte de barrière qui a tendance à devenir continue, avec modification ou disparition du drainage naturel. Au sud, leur progression est plus lente, mais présente des risques plus élevés pour l’environnement, car elle se fait directement en bordure d’écosystèmes fragiles, formés de mangroves et de lagunes.
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