Migrations clandestines dans le golfe de Guinée, campements de pêcheurs allogènes sur la côte gabonaise et dans le Parc National d’Akanda

Par Chancia NYINGUÉMA et Patrick POTTIER

L’Atlas Bleu / Habiter

Migrations clandestines dans le golfe de Guinée

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Campement de pêcheurs allogènes sur l’Île Nendé. 4 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

L’Île Nendé, véritable hub historique de l’immigration clandestine par voie maritime abritait à cette date une communauté de pêcheurs nigérians d’environ 300 personnes, majoritairement en situation irrégulière.

Les migrations clandestines au sein du golfe de Guinée soulèvent de nombreuses questions délicates, allant de la sécurisation et de la surveillance des côtes africaines à l’insécurité en mer par rapport aux moyens de transport utilisés par les migrants clandestins jusqu’à l’interpellation quant à l’obligation de la sauvegarde de la vie humaine en mer.

En effet, les différents candidats à l’immigration clandestine par voie maritime, qu’elle soit ascendante (vers l’Europe) ou descendante (vers des pays tels le Cameroun, la Guinée-Équatoriale et le Gabon) empruntent le plus souvent des pirogues de fortune provenant de l’Afrique de l’Ouest. Initialement utilisée par l’activité de pêche, le transport sur zone, le chargement des pêcheurs, du matériel et des captures, la pirogue de pêche est ainsi détournée de son premier usage à des fins de transport de passagers clandestins qui s’effectue au détriment des conditions de sé­curité les plus élémentaires (moyen de transport inadéquat et vétuste, surcharge). Malgré sa dangerosité, la mer demeure le chemin le plus court pour accéder aux pays de destination et le moins risqué en matière de contrôles.

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Pirogue suspectée d’être utilisée pour le transport de clandestins

Moka, le 6 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

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Pirogue de pêche dûment immatriculée par la Marine Marchande

Moka, le 6 juillet 2010. (Cl. C. Nyinguéma)

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Différents types de pirogues de pêche au débarquement

Moka, le 6 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

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Pirogue géante construite au campement Massamboué, puis réquisitionnée et détruite par les autorités locales de Cocobeach

13 avril 2012 (Cl. Conservateur d’Akanda, pour l’Agence Parcs Nationaux du Gabon)

Le basculement des migrations africaines vers des filières clandestines n’est que la résultante d’un mélange de facteurs historiques (colonisation en AEF et AOF, migrations de travail, routes maritimes des pêcheurs ouest-africains, intégration sous-régionale) et contemporains (pauvreté, conflits, mondialisation) doublé du caractère perméable des frontières maritimes de la plupart des pays africains riverains de l’Atlantique. Concernant les filières clandestines, ces dernières sont organisées par de puissants réseaux de passeurs qui ont des ramifications aussi bien continentales que maritimes, intégrant également des anciens candidats à l’immigration et de plus en plus de pêcheurs artisanaux.

Parmi les migrants on retrouve des prétendants aux origines et profils divers, provenant non seulement des pays côtiers, mais également de ceux enclavés. Depuis à peine une décennie, on assiste de ce point de vue à une forte féminisation, ainsi qu’à une infantilisation des flux. Malgré la nature de la« cargaison» des pirogues (en langage de passeur … ) et du péril encouru, la primauté de la sauvegarde de la vie humaine en mer ne prévaut pas toujours face aux différents enjeux et intérêts.

Campements de pêcheurs allogènes sur la côte gabonaise et dans le Parc National d’Akanda

Le Gabon à l’instar de nombreux pays du golfe de Guinée connait depuis près d’un quart de siècle ce que l’on peut qualifier aujourd’hui de colonisation halieutique. Elle se matérialise par une occupation importante du littoral par des communautés de pêcheurs artisans, ici d’origine ouest-africaine. Ces différentes communautés évoluent au sein de véritables isolats. Ces campements sont le plus souvent difficiles d’accès, notamment pour les différentes autorités en charge de la pêche, de l’environnement et de l’immigration. Bon nombre sont monoethniques et à forte consonance anglophone, notamment à cause des pêcheurs nigérians et ghanéens. Mais on note aussi la présence de groupes béninois et sénégalais, de même que quelques rares campements hétérogènes.

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Campement de pêcheurs nigérians sur l’Île Nendé

5 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

panneau, entrée, Parc National d'Akanda, Gabon

Banière d’entrée du Parc National d’Akanda sur l’Île Nendé

5 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

L’existence de ces différentes communautés pose toutefois les questions de la régularité de leur pré­sence, du difficile contrôle de leur effectif, de leurs matériel et captures de pêche, et plus encore, de leur promiscuité avérée avec le phénomène de l’im­migration clandestine par voie maritime.

L’exercice de la pêche artisanale à travers la quête de la ressource halieutique a conduit de nombreux pêcheurs à migrer pour pêcher. Toutefois, avec l’in­sertion de travailleurs de la mer dans les réseaux et filières de trafic de migrants clandestins, la ques­tion se pose de savoir s’ils pêchent pour migrer ou migrent pour pêcher ?

La médiatisation des « coups de filet » de la Police de l’air et des frontières (PAF) et de la Marine Na­tionale concernant l’arraisonnement de pirogues chargées de passagers clandestins, l’arrestation aux abords des campements de migrants sans papier ou le sauvetage de certains rescapés de naufrage, conduisent couramment certaines autorités (compa­gnies de transport maritime, police nationale) à stig­matiser ces communautés de pêcheurs. Il semble qu’il y ait parfois un ras-le-bol d’une situation qualifiée « d’afflux massif », difficile à gérer d’un point de vue logistique, diplomatique, juridique (respect des droits de l’homme) et financier (argent du contribuable), aussi bien pour l’assistance, l’accueil que le rapatrie­ment souvent confronté au manque de coopération des pays d’origine.

Le fait que les pêcheurs et leurs familles exercent un contrôle quasi total en amont comme en aval de la filière pêche maritime artisanale (cela va de la pêche aux activités annexes, c’est-à-dire l’écaillage, la transformation et le mareyage), qui plus est pour l’es­sentiel de façon informelle, signifie que le secteur peut-être considéré comme un ethno-business.

La concomitance de ces facteurs conduit parfois les autorités à réagir de manière draconienne : descentes musclées et inopinées, destruction partielle ou totale des campements, déguerpissements et expulsions.

Cette situation illustre l’extrême vulnérabilité de ces populations allogènes, installées dans le Parc National ou aux abords. Elle rappelle l’évidente nécessité de ré­gulation d’une activité économique en plein essor, bien que clandestine et informelle, et pourtant géné­ratrice de richesses car inscrite dans l’économie locale. La clarification du statut de ces artisans devrait être, de ce point de vue, une des priorités pour l’avenir.

Chancia NYINGUÉMA, Enseignante-chercheure à l’Université Omar Bongo de Libreville

Patrick POTTIER, Enseignant-chercheur, Maitre de conférence à l’Université de Nantes

Chancia NYINGUÉMA, Patrick POTTIER, « Migrations clandestines dans le golfe de Guinée, campements de pêcheurs allogènes sur la côte gabonaise et dans le Parc National d’Akanda », L’atlas Bleu, Revue cartographique des mers et des littoraux. Mis en ligne le 11 janvier 2020,

(version digitale adaptée d’après l’article paru dans L’Atlas Permanent de la Mer et du Littoral n°7 « Risques littoraux et maritimes ». Ed. LETG-Nantes, 2015. pp.66-68)

URL : https://atlas-bleu.cnrs.fr/

DOI : 10.35109/atlasbleu-fr.10004