Migrations clandestines dans le golfe de Guinée, campements de pêcheurs allogènes sur la côte gabonaise et dans le Parc National d’Akanda
Par Chancia NYINGUÉMA et Patrick POTTIER
L’Atlas Bleu / Habiter
Migration clandestine, pêcheur allogène, côte gabonaise, Parc National d’Akanda
L’article décrit les migrations clandestines maritimes à l’échelle du golfe de Guinée et analyse les relations avec les pratiques des communautés de pêcheurs à travers les exemples de la côte gabonaise et du Parc National d’Akanda. De fait, la structuration et l’expansion des pratiques de pêche artisanale dans ces secteurs favorisent la création et l’installation de communautés de pêcheurs allogènes, dont la gestion locale s’avère compliquée.
Migrations clandestines dans le golfe de Guinée
Les migrations clandestines au sein du golfe de Guinée soulèvent de nombreuses questions délicates, allant de la sécurisation et de la surveillance des côtes africaines à l’insécurité en mer par rapport aux moyens de transport utilisés par les migrants clandestins jusqu’à l’interpellation quant à l’obligation de la sauvegarde de la vie humaine en mer.
En effet, les différents candidats à l’immigration clandestine par voie maritime, qu’elle soit ascendante (vers l’Europe) ou descendante (vers des pays tels le Cameroun, la Guinée-Équatoriale et le Gabon) empruntent le plus souvent des pirogues de fortune provenant de l’Afrique de l’Ouest. Initialement utilisée par l’activité de pêche, le transport sur zone, le chargement des pêcheurs, du matériel et des captures, la pirogue de pêche est ainsi détournée de son premier usage à des fins de transport de passagers clandestins qui s’effectue au détriment des conditions de sécurité les plus élémentaires (moyen de transport inadéquat et vétuste, surcharge). Malgré sa dangerosité, la mer demeure le chemin le plus court pour accéder aux pays de destination et le moins risqué en matière de contrôles.

Pirogue suspectée d’être utilisée pour le transport de clandestins
Moka, le 6 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

Pirogue de pêche dûment immatriculée par la Marine Marchande
Moka, le 6 juillet 2010. (Cl. C. Nyinguéma)

Différents types de pirogues de pêche au débarquement
Moka, le 6 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

Pirogue géante construite au campement Massamboué, puis réquisitionnée et détruite par les autorités locales de Cocobeach
13 avril 2012 (Cl. Conservateur d’Akanda, pour l’Agence Parcs Nationaux du Gabon)
Le basculement des migrations africaines vers des filières clandestines n’est que la résultante d’un mélange de facteurs historiques (colonisation en AEF et AOF, migrations de travail, routes maritimes des pêcheurs ouest-africains, intégration sous-régionale) et contemporains (pauvreté, conflits, mondialisation) doublé du caractère perméable des frontières maritimes de la plupart des pays africains riverains de l’Atlantique. Concernant les filières clandestines, ces dernières sont organisées par de puissants réseaux de passeurs qui ont des ramifications aussi bien continentales que maritimes, intégrant également des anciens candidats à l’immigration et de plus en plus de pêcheurs artisanaux.
Parmi les migrants on retrouve des prétendants aux origines et profils divers, provenant non seulement des pays côtiers, mais également de ceux enclavés. Depuis à peine une décennie, on assiste de ce point de vue à une forte féminisation, ainsi qu’à une infantilisation des flux. Malgré la nature de la« cargaison» des pirogues (en langage de passeur … ) et du péril encouru, la primauté de la sauvegarde de la vie humaine en mer ne prévaut pas toujours face aux différents enjeux et intérêts.
Campements de pêcheurs allogènes sur la côte gabonaise et dans le Parc National d’Akanda
Le Gabon à l’instar de nombreux pays du golfe de Guinée connait depuis près d’un quart de siècle ce que l’on peut qualifier aujourd’hui de colonisation halieutique. Elle se matérialise par une occupation importante du littoral par des communautés de pêcheurs artisans, ici d’origine ouest-africaine. Ces différentes communautés évoluent au sein de véritables isolats. Ces campements sont le plus souvent difficiles d’accès, notamment pour les différentes autorités en charge de la pêche, de l’environnement et de l’immigration. Bon nombre sont monoethniques et à forte consonance anglophone, notamment à cause des pêcheurs nigérians et ghanéens. Mais on note aussi la présence de groupes béninois et sénégalais, de même que quelques rares campements hétérogènes.

Campement de pêcheurs nigérians sur l’Île Nendé
5 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)

Banière d’entrée du Parc National d’Akanda sur l’Île Nendé
5 juillet 2010 (Cl. C. Nyinguéma)
L’existence de ces différentes communautés pose toutefois les questions de la régularité de leur présence, du difficile contrôle de leur effectif, de leurs matériel et captures de pêche, et plus encore, de leur promiscuité avérée avec le phénomène de l’immigration clandestine par voie maritime.
L’exercice de la pêche artisanale à travers la quête de la ressource halieutique a conduit de nombreux pêcheurs à migrer pour pêcher. Toutefois, avec l’insertion de travailleurs de la mer dans les réseaux et filières de trafic de migrants clandestins, la question se pose de savoir s’ils pêchent pour migrer ou migrent pour pêcher ?
La médiatisation des « coups de filet » de la Police de l’air et des frontières (PAF) et de la Marine Nationale concernant l’arraisonnement de pirogues chargées de passagers clandestins, l’arrestation aux abords des campements de migrants sans papier ou le sauvetage de certains rescapés de naufrage, conduisent couramment certaines autorités (compagnies de transport maritime, police nationale) à stigmatiser ces communautés de pêcheurs. Il semble qu’il y ait parfois un ras-le-bol d’une situation qualifiée « d’afflux massif », difficile à gérer d’un point de vue logistique, diplomatique, juridique (respect des droits de l’homme) et financier (argent du contribuable), aussi bien pour l’assistance, l’accueil que le rapatriement souvent confronté au manque de coopération des pays d’origine.
Le fait que les pêcheurs et leurs familles exercent un contrôle quasi total en amont comme en aval de la filière pêche maritime artisanale (cela va de la pêche aux activités annexes, c’est-à-dire l’écaillage, la transformation et le mareyage), qui plus est pour l’essentiel de façon informelle, signifie que le secteur peut-être considéré comme un ethno-business.
La concomitance de ces facteurs conduit parfois les autorités à réagir de manière draconienne : descentes musclées et inopinées, destruction partielle ou totale des campements, déguerpissements et expulsions.
Cette situation illustre l’extrême vulnérabilité de ces populations allogènes, installées dans le Parc National ou aux abords. Elle rappelle l’évidente nécessité de régulation d’une activité économique en plein essor, bien que clandestine et informelle, et pourtant génératrice de richesses car inscrite dans l’économie locale. La clarification du statut de ces artisans devrait être, de ce point de vue, une des priorités pour l’avenir.
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